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Les liens entre l'éco-solidarité et l'entreprise

Il faut combattre la pauvreté dans le monde
L'éco-solidarité fait partie de la vie des entreprises avec le mécénat des compétences, les congés solidaires, l'entrepreneuriat social. Les pistes pour répondre à un besoin d'engagement sociétal tout en menant une vie professionnelle réussie sont multiples. Ci-joint une note de Sophie Viguier-Vinson.

6 astuces sont décrites dans cette article publié par L'Express le 19.12.2013:


L'avion qui se pose à Paris ramène Paul William Delorme d'une mission en Haiti. En poste depuis trois ans au marketing stratégique chez Orange, ce cadre vient de participer à deux programmes d'aide au pays: l'un sur la scolarisation, appelé "Back to school", et l'autre sur l'enregistrement des naissances sur Internet par mobile multimédia.  
"En Haïti, trop de bébés naissent sans être enregistrés et, officiellement, ils n'existent pas. Cela les exclut, de facto, du système de soins et de l'école", explique-t-il. Une belle opération humanitaire... Enfin, pas tout à fait. Ou pas uniquement. Pour Orange, l'action de son collaborateur est une façon de s'inscrire dans la grande vague de la responsabilité sociale de l'entreprise. Et d'être également présent sur des marchés potentiels. Un mélange des genres emblématique des nouveaux liens entre le monde solidaire et celui de l'entreprise.  
"Les ponts entre les deux se sont multipliés ces dix dernières années, et les relations sont de plus en plus partenariales", explique Amandine Barthélémy, cofondatrice de l'agence Odyssem, qui a consacré un livre à L'Economie qu'on aime (Rue de l'Echiquier, 2013). En outre, "l'aventure solidaire ne tente plus seulement les juniors impatients ou les seniors en quête d'un nouveau souffle, mais aussi les actifs les plus intégrés", ajoute le sociologue Mathieu Helly, auteur de L'Economie sociale et solidaire: de l'utopie aux pratiques (La Dispute, 2013). Voici six manières de s'investir dans la solidarité tout en poursuivant sa carrière

Se mobiliser pendant ses congés

Très en vogue pour vivre des vacances utiles: les vacances solidaires. L'idée s'est imposée en France dans les années 2000, avec l'essor des associations Planète Urgence, Projects Abroad ou France Volontaires, qui organisent les missions.  
La personne travaille pendant ses congés payés. Cela n'est pas nouveau en soi, mais, désormais, des accords se mettent en place avec les entreprises qui peuvent couvrir les frais facturés par l'association. Car cet engagement n'est pas gratuit. Le site de Planète Urgence annonce 2 200 euros pour deux semaines, quand le séjour est proposé via une entreprise; et 1 645 euros quand il s'effectue à titre individuel. Le montant est déductible fiscalement à hauteur de 60%
Mais les structures organisatrices ne sont pas des passages obligés. Armelle Castel, préparatrice dans les laboratoires Boiron, est ainsi partie l'été dernier en qualité de membre actif de l'association L'Ecole des Rizières, qui soutient la scolarité d'enfants vietnamiens. Quand elle a voulu poser quatre semaines de vacances, sa responsable lui a non seulement donné son feu vert, mais lui a aussi parlé de l'aide aux projets personnels, un accord d'entreprise, créé en 1987 chez Boiron.  
















Une commission m'a accordé une aide pour le financement de tous les frais logistiques." Un point pour Armelle, pour l'association... et pour Boiron qui motive une salariée reconnaissante. L'engagement individuel et l'investissement professionnel peuvent bel et bien fonctionner de pair, à condition d'oser parler de ses rêves. Et un congé sans solde de longue durée pour une parenthèse plus longue? "C'est aussi envisageable dans une carrière. L'aventure tente plutôt les jeunes pros attirés par l'étranger, soucieux de donner la pleine mesure à leur quête de sens à un moment donné", précise Jean-Michel Huet, directeur associé Développement international, chez Bearingpoint, et enseignant à Neoma Business School (ex-Reims Management School), notamment dans la spécialisation sur le management associatif et l'économie solidaire.  
"Cela fonctionne bien dans les cabinets de conseils, où les collaborateurs peuvent passer de longues périodes chez un client. Une absence pour raison humanitaire ne bouscule donc pas l'organisation de leur entreprise", explique-t-il. Il est plus sceptique quand la personne occupe un poste dans un service classique, car elle peine parfois à réintégrer son équipe au retour.  

Donner quelques heures

Le bénévolat a toujours existé, mais la tendance est aujourd'hui de rationaliser sa bonne volonté et de mettre son savoir-faire au service des organisations dans le cadre du bénévolat de compétencesPasserelles et Compétences se charge de mettre en contact les professionnels volontaires avec les associations.  
Aller encore plus loin, c'est possible: il existe aussi une forme de bénévolat payant. François Barbier, consultant chez Beyond Consulting, après avoir été dirigeant chez Mars, Danone et Kraft, a ainsi accepté de verser 10000 euros par an, à titre personnel, àl'ONG Ashoka. C'est le ticket d'entrée pour venir en aide à desentrepreneurs sociaux triés sur le volet, et faire partie du cercle d'élites des Ashoka Support Network (ASN).  
"J'ai toujours eu la fibre sociale. Il était temps que je fasse partager mon expérience de manager afin de soutenir des initiatives utiles et de faciliter, par exemple, la clarification des stratégies pour un impact optimal des actions menées, explique François Barbier. Et j'apprends beaucoup moi-même aux côtés d'entrepreneurs qui développent des projets avec une extraordinaire économie de moyens et une saine frugalité. C'est l'avenir!"  
Cette démarche reste individuelle, mais le bénévolat de compétence peut aussi s'inscrire au sein même d'une entreprise, comme à La Banque Postale. "Avec le lancement de L'Envol en 2012 -campus développant un programme de tutorat- les salariés peuvent parrainer, sur leur temps libre, des jeunes pour leur assurer un accompagnement individualisé", expose Stéphanie Osmont, sa déléguée générale. Le but est, bien sûr, d'oeuvrer pour l'égalité des chances et de répondre ainsi à l'engagement sociétal de l'entreprise. Mais la responsable du campus observe que ces engagements développent considérablement l'implication des salariés dans leur job.  

S'engager via du mécénat de compétences

De plus en plus d'entreprises se lancent dans le mécénat de compétences, et assurent tout ou partie de la rémunération des salariés, le temps de leur mission. C'est ce que révèle une étude d'IMS-Entreprendre pour la cité (2012): 80% des fondations d'entreprise proposent aujourd'hui aux collaborateurs de s'impliquer dans leurs actions, contre 69% en 2009.  
Orange s'appuie même sur ce dispositif pour gérer les fins de carrière. "Le temps partiel senior permet aux salariés à trois ou cinq ans de la retraite de quitter le groupe pour intégrer une association d'intérêt général et y travailler à 50%, tout en étant payés à 80% par Orange", explique Sébastien Croizier, directeur de la stratégie et de l'innovation, élu CFE-CGC. Pour l'entreprise, 60% des salaires versés sont déductibles fiscalement.  
Ancien cadre, José Truchon est, par exemple, parti chez Emmaüs faire du tri d'objets d'art. "Passer mon temps à repérer des oeuvres, c'est ma passion. A la fin du mécénat, je continuerai à titre personnel", affirme-t-il. Un bon moyen de préparer utilement le passage à la retraite, car ne devient pas bénévole qui veut et les places sont limitées pour les seniors.  
Les intérêts sont donc partagés entre le salarié et l'entreprise, mais aussi avec les ONG qui font valoir ces avantages pour attirer des compétences et des fonds, via les partenariats tissés du même coup. Jean-François Riffaud directeur de la communication et du développement des ressources à la Croix-Rouge reconnaît ainsi l'aide providentielle des ingénieurs d'IBM venus participer à l'installation d'un logiciel pour la gestion de l'aide alimentaire. "D'un côté, ils nous ont soutenus; de l'autre, ils étaient heureux d'avoir rendu service à des milliers de personnes en difficulté." 
Idem pour Emmaüs Solidarité. "Même à l'échelle d'une journée, un groupe de 30 ou 50 salariés peut nous aider à rénover un local, à aménager un jardin dans un espace d'accueil. Cela fait toute la différence pour le public en situation de grande précarité que nous recevons dans ces lieux", rapporte Bruno Morel, directeur de l'association. Une stratégie "gagnant-gagnant" encore mise en avant par l'ONG Care: "Nous avons bénéficié de l'expertise d'Axa, pour évaluer l'impact des variations des pluies sur la sécurité alimentaire dans huit pays, mais également des aptitudes d'un salarié du groupe, venu en mécénat de compétence pour la refonte de notre site Internet", rappelle Fabienne Pouyadou, directrice des partenariats.  

Consacrer un job à plein temps à l'engagement sociétal

S'engager quelques heures ou quelques jours, c'est motivant, mais certains choisissent de s'impliquer totalement dans une ONG pour vivre l'aventure. Bien des jobs, dans ce cadre, sont (presque) comme les autres. Diplôme de Sciences Po en poche, Laure Brogliolo a ainsi intégré Médecins du Monde, il y a huit ans, pour gérer les partenariats avec les entreprises et les relations avec les grands donateurs.  
"Mon activité a du sens, mais cela ne m'empêche pas de souhaiter avancer, avoir des responsabilités, obtenir des résultats et, bien sûr, être payée à ma juste valeur", confie-t-elle. Pour faire sa place dans ce milieu, il faut aujourd'hui être pragmatique, rompu aux relations avec les entreprises. Le cas de Laure n'est pas isolé. "La plupart des membres de mon équipe de collecte ont tous étudié dans une école de commerce ou ont exercé dans le privé", constate Jean-François Riffaud, de la Croix-Rouge.  
"Les subventions publiques ayant baissé, nous devons être capables d'aller chercher des fonds du côté des entreprises", ajoute-t-il. Les ONG ou les associations ont donc davantage besoin de cadres. Et ces derniers se montrent massivement séduits par cette perspective, comme en témoigne le nombre de candidatures reçues quand un poste se crée. "Sur 200 CV, seulement cinq ou six sont éligibles. La plupart des candidats écrivent pour dire qu'ils sont des types bien, mais ce qui prime, ce sont les compétences et ensuite la manière d'y greffer un authentique engagement éthique", explique Jean-Philippe Teboul, dirigeant du cabinet Orientation Durable.  
















Preuve que "tout le monde ne peut s'investir à 100% dans l'associatif", rappelle Laure Brogliolo. S'engager à plein temps sur les questions sociétales au sein d'une entreprise, comme Paul William Delorme, chez Orange, est aussi possible. Damien Desjonquères en fait de même l'heureuse expérience. Après plusieurs années au sein de l'ONG Care, ce cadre supérieur a rejoint Areva, avant d'intégrer Total, voici cinq ans, comme responsable du projet Précarité énergétique. L'occasion de "faire bouger les lignes internes de l'entreprise sur des sujets d'utilité sociale en France, avec des moyens importants", explique-t-il.  
Chez Schneider ElectricAlban Jacquin, directeur Performance et communautés développement durable, s'investit également à 150% dans la même veine "social business", comme d'autres "happy few" du même groupe.  

Devenir intrapreneur social...

Schneider Electric a permis à certains salariés, travaillant à l'international, de lancer le programme d'intrapreneuriat socialBipBop en Inde, à Bengalore. "En 2010, un collaborateur, Abhimanyu Shu, a eu pour objectif de concevoir le programme In-Diya, permettant à de nombreux ruraux de s'équiper de lampes LED à bas coût et rechargeables, donc écologiques", raconte Alban Jacquin, directeur Performance et communautés développement durable chez Schneider Electric. 
Depuis, une véritable "business unit" s'est structurée avec une quinzaine de collaborateurs basés en Inde, en France et en Afrique. Elle a pu imaginer un projet économiquement viable et adapté aux besoins locaux, identifiés en partenariat avec des ONG. Abhimanyu Shu a d'abord conçu l'opération en plus de ses fonctions habituelles, et s'investit maintenant pleinement pour la faire vivre. 

... ou entrepreneur social

Stade ultime de l'implication, créer sa propre activité et devenirentrepreneur socialRyadh Sallem, membre de l'équipe de France de rugby-fauteuil aux derniers Jeux paralympiques, a fait ce pari en créant l'association Capsaaa, qui propose notamment aux entreprises des programmes de sensibilisation au handicap par le sport.  
"C'est essentiel d'écouter son coeur et d'être bénévole. Mais pour faire vivre un projet, il faut se donner à 100%, et sans financement, on s'épuise. Pour ma part, je suis salarié de Capsaaa, mais je développe parallèlement des missions de conseil en tant qu'auto-entrepreneur." Le moyen de faire aussi le trait d'union entre l'association et les grands groupes. Autre expérience, Octavie Baculard a créé l'agence Volonteer, en 2005. Son but: "Accompagner les entreprises désireuses de mobiliser leurs salariés dans le social", via du conseil, des études, des formations et des mises en relation entre les différents acteurs.  
Concilier solidarité et carrière repose encore souvent sur des initiatives individuelles et sur des rencontres providentielles avec des dirigeants visionnaires. "En interne, beaucoup de collaborateurs, aux échelons intermédiaires de la hiérarchie, restent à convaincre de l'utilité de ces démarches", reconnaît Damien Desjonquères, de Total. De fait, des jobs comme le sien restent rares. "La plupart du temps, on fait évoluer à la marge une fiche de poste en interne pour y intégrer une dimension sociétale", nuance encore Jean-Philippe Teboul.  
Il reste donc du chemin à faire pour sécuriser réellement ces nouveaux parcours professionnels. C'est l'avis de Jean-Baptiste de Foucauld, ancien haut fonctionnaire du ministère des Finances et fondateur de Solidarité nouvelle contre le chômage (SNC). "Trop d'entreprises soumises à des logiques de marché peinent à accorder à leurs salariés la liberté nécessaire à l'engagement social. Mais pour peu qu'elles le fassent les bénéfices sont aussi grands personnellement que collectivement." A chacun de forcer le destin solidaire.  
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